La stratégie Marketing d’Abercrombie & Fitch : du succès aux scandales
La stratégie Marketing d’Abercrombie & Fitch est brillante. Mais il y a un problème : elle manque clairement d’éthique. Décryptons-la ensemble et revenons sur la descente aux enfers de la marque.
Abercrombie & Fitch a réussi l’exploit improbable de devenir une marque incontournable de la mode en vendant des millions de vêtements grâce à des publicités… sans vêtement.
Les résultats parlent d’eux-mêmes : dans les années 90, Abercrombie a quasiment multiplié par 10 son chiffre d’affaires annuel le propulsant au-delà du milliard de dollars.
Ces performances démontrent bien la puissance du Marketing car oui, le succès d’Abercrombie & Fitch repose sur une stratégie marketing redoutablement efficace.
Mais le problème, c’est que le marketing d’Abercrombie manque clairement d’éthique.
Racisme, Sexisme, Grossophobie… Les accusations contre la marque ne manquent pas et Mike Jeffries, le PDG emblématique d’Abercrombie n’a jamais caché son positionnement discriminant :
« Dans toutes les écoles, il y a les enfants cools et les enfants moins cools. Est-ce qu’on est exclusif, totalement. Nous ciblons les enfants cools, avec une super attitude et plein d’amis. Abercrombie ne s’intéresse qu’à ceux qui ont un ventre plat, prêts à sauter sur une planche de surf »
Mike Jeffries – Ancien CEO d’Abercrombie & Fitch
Son objectif a donc toujours été clair : « faire en sorte que ses clients ne croisent pas des gens moins séduisants qu’eux portant du Abercrombie ».
Sa stratégie a été pensée uniquement dans ce sens. Pour exclure. Discriminer tous ceux qui ne répondent pas à sa vision de la beauté.
On est donc en droit de se poser la question : Jusqu’où peut-on aller pour vendre ?
Où sont les limites ? Est-ce que tout est permis dans le Marketing tant que c’est rentable ?
Naturellement, la réponse est non et la descente aux enfers d’Abercrombie & Fitch devenue l’une des marques les plus détestées du monde en est l’illustration parfaite.
L’histoire d’Abercrombie & Fitch
Abercrombie & Fitch n’a pas toujours été la marque que nous connaissons.
Créée en 1892 par David Abercrombie et Ezra Fitch, c’était à la base une marque de sport haut-de-gamme, proposant à la fois des vêtements de randonnée, du matériel de chasse, de pêche ou encore de la mousse à raser.
On était donc bien loin des produits qui ont fait chavirer le cœur de millions d’ados américains mais son positionnement a toujours été élitiste.
Déjà à l’époque, la marque ciblait une certaine partie traditionnelle de l’Amérique et ses clients les plus emblématiques étaient Teddy Roosevelt – 26ème Président des Etats-Unis – ou encore l’écrivain Ernest Hemingway qui, pour la petite histoire, se serait même suicidé avec un fusil acheté chez Abercrombie & Fitch.
100 ans plus tard, en perte de vitesse, la marque est rachetée par Les Wexner, un homme d’affaires pour le moins sulfureux puisqu’il aurait été l’un des complices de Jeffrey Epstein dans son affaire de pédophilie.
Au départ, Wexner tente de relancer Abercrombie comme telle mais sans réussite. Il fait alors appel à Mike Jeffries qu’il nomme PDG pour repositionner la marque.
Exit la randonnée, la chasse et la pêche, bonjour la mode jetable ultra sexualisée. Le succès d’Abercrombie 2.0 est immédiat grâce à une stratégie marketing brillante mais pour le moins borderline.
La stratégie Marketing d’Abercrombie & Fitch
Commençons par le positif : ce qu’a réalisé Mike Jeffries est brillant.
Transformer une marque vieillissante qui vend des vêtements de randonnée en une marque fashion, incontournable chez les ados est du jamais vu. Surtout en si peu de temps.
Le coup de génie de Jeffries est de revoir en profondeur le positionnement d’Abercrombie pour en faire une marque de vêtements « Beaux Gosses » réservée aux étudiants les plus populaires des universités américaines.
En faisant ça, il garde le côté élitiste d’Abercrombie mais l’applique à une clientèle plus jeune et donc plus manipulable.
Cette stratégie d’exclusion est en effet très puissante sur les ados et les jeunes adultes et on peut s’appuyer sur la Pyramide de Maslow pour le comprendre.
Cette pyramide présente les 5 niveaux de besoin à satisfaire pour être heureux. Les ados sont principalement concernés par 2 d’entre eux.
D’abord, il y a le besoin d’appartenance.
Ils sont en train de se détacher du cocon familial. Ils se retrouvent face à leurs doutes et doivent être validés par les autres. Et là, la meilleure marque de validation possible, et bien c’est de faire partie du groupe et s’il faut porter du Abercrombie pour ça, ils le font.
L’autre truc c’est qu’à cet âge on a une grosse crise de confiance en soi. C’est le besoin d’estime dans la pyramide de Maslow.
On a besoin de se sentir séduisant et apprécié des autres. Pour ça, on cherche à imiter ceux qui le sont et s’ils portent du Abercrombie, on en déduit qu’il faut du Abercrombie.
Cibler les étudiants les plus populaires est donc un choix intelligent mais il y a un problème : pour que tout ça fonctionne, il faut un minimum de clients. Beaucoup de clients même.
Et au début des années 90, il n’y a pas les réseaux sociaux pour se faire connaitre.
C’est là qu’Abercrombie fait fort : ils créent le Instagram version papier en lançant leur propre magazine et en mettant le paquet sur les photos.
Aujourd’hui, ils auraient des likes et des partages. Là, à la place, les gens commencent à coller les photos partout : dans leurs chambres, sur leur sac, leurs livres ou dans leurs casiers à l’école.
Une vague d’abdos Abercrombie déferle sur les universités et Jeffries renforce le phénomène en embauchant des influenceurs avant l’heure : Il recrute les étudiants les plus populaires des campus pour qu’ils deviennent ambassadeurs de la marque et les habille de la tête au pied.
Abercrombie commence alors à gagner en notoriété chez les ados mais pas assez pour faire décoller la marque.
Ce qui accélère tout, c’est l’expérience en magasin. Pour bien comprendre le phénomène, il faut se remettre dans le contexte :
Dans les années 90, Google n’existe pas.
Pour découvrir les modes, les jeunes vont dans les centres commerciaux et ils y passent tous leurs samedis.
Ça Abercrombie l’a bien compris. Ils ouvrent donc des boutiques dans ces centres et font tout pour offrir une expérience de visite unique.
D’abord, ils couvrent leurs vitrines avec des volets pour inciter les gens à rentrer et découvrir les produits. À la porte, ils postent deux mecs torse nu pour vous accueillir. À l’intérieur, la musique est à fond et un parfum Abercrombie est diffusé régulièrement. Enfin, les vendeurs ont pour consigne d’être distant avec les clients pour renforcer les effets du marketing d’exclusion.
Les vendeurs, parlons-en.
Ils sont tous des figures de mode et sont recrutés selon des critères physiques bien précis : de leur coupe de cheveux à leurs sous-vêtements.
Alors est-ce que c’est légal ? Non, bien sûr. Et c’est là que va éclater le premier scandale d’une longue série.
Les scandales d’Abercrombie & Fitch
On peut dire que les fiches de postes chez Abercrombie sont plutôt originales :
Vous avez des DreadLocks ? Vous pouvez passer votre chemin. Vous portez des bijoux ? Idem. Les recruteurs vont même jusqu’à vérifier vos sous-vêtements.
Alors tous ces critères présentés dans le guide du recrutement Abercrombie peuvent faire rire mais quand on lit entre les lignes, c’est tout de suite moins drôle : pour être embauché chez eux, votre physique compte jusqu’à votre couleur de peau.
Et même quand vous êtes embauché, votre physique continue d’être noté : pour ça, les managers utilisent une échelle qui va de Cool à Rocks : si vous n’êtes pas à minima cool, vous êtes licencié. Même si vous êtes le meilleur vendeur du magasin.
Alors forcément ce genre de pratique ne peut pas durer dans le temps :
En 2004, un recours collectif est lancé contre la marque pour discrimination à l’embauche et licenciement abusif. Sans doute peu confiant sur sa défense, Abercrombie trouve un accord et évite le procès en versant 40 millions de dollars aux victimes et 10 millions à leurs avocats.
Mais ce n’est que le début des scandales et de la descente aux enfers. Car il n’y a pas que le recrutement qui fait polémique chez Abercrombie : la stratégie marketing aussi.
Notamment les slogans sur leurs t-shirts.
Pour accentuer les effets du marketing d’exclusion, Abercrombie n’hésite pas à se moquer de ceux qui sortent de ses critères de beauté, tant dans les pubs que sur ses vêtements.
Les asiatiques sont là une cible privilégiée et de nombreux t-shirts affichent des clichés racistes, ce qui déclenche une vague de manifestations qui va un peu plus fragiliser la marque.
Abercrombie passe rapidement d’une marque cool à une marque détestée, ce qui se traduit notamment par une scène dans le film Spiderman où une brute écervelée qui s’attaque au héro est habillé en Abercrombie de la tête au pied.
Les procès s’enchainent jusqu’à ce qu’un jugement place la marque sous contrôle judiciaire pendant 6 ans au cours desquels Abercrombie s’engage à changer sa politique de recrutement et sa stratégie marketing.
Mais là, Jeffries et son équipe vont tout faire pour berner la justice…
Abercrombie & Fitch, une marque sur le fil
Que peut faire une marque accusée de racisme pour redorer son image ?
Et bien embaucher une personne de couleur à un poste en charge de la diversité. C’est précisément ce que fait Abercrombie en recrutant Todd Corley. Vous devinez donc facilement les résultats : y’en a pas.
Bon je suis un peu mauvaise langue : des efforts sont fait en termes de communication et de recrutement dans les magasins.
En 2004, seul 10% du personnel était « non-blancs ». En 2011, ils sont 53% mais le truc, c’est que ça reste des actions de façade puisque les postes de Direction ne sont occupés que par des blancs.
Pire que ça et c’est juste hallucinant, pour contourner le contrôle judiciaire, Jeffries a la bonne idée de changer le statut des vendeurs pour les passer au statut mannequin : du coup, ils continuent d’être embauchés ou virés sur leur physique, sans qu’Abercrombie ne soit inquiété.
On arrive donc au bout des 6 ans de contrôle sans que rien n’ait changé. Todd Corley démissionne et la justice déclare qu’Abercrombie n’a pas atteint ses objectifs sans pour autant les condamner.
Le karma va donc faire son job et achever la marque en 2013.
Un soir, Benjamin O’keefe surfe sur le web et tombe sur un article de 2006 sur Mike Jeffries dans lequel est rapportée une interview.
Cet article, c’est « The Man behind Abercrombie & Fitch ».
C’est dans cet article que Jeffries déclare ce que je vous ai présenté en intro : « à l’école il y a les gamins cools et les moins cools. Clairement, ce sont les cools qui nous intéressent ».
Benjamin est choqué par ces propos et décide de lancer une pétition pour demander à Abercrombie des excuses mais aussi de proposer leurs vêtements en XL et plus, ce qu’ils ne faisaient pas jusque-là.
Benjamin poste ça sur ces réseaux, il envoie 200 communiqués de presse et va se coucher : à son réveil, Twitter a fait son job et un énorme mouvement de boycott éclate. S’enchainent alors les scandales.
Quelques mois plus tard, Samantha Elauf attaque Abercrombie en justice pour discrimination à l’embauche.
Elle assure qu’elle n’a pas été embauchée parce qu’elle porte le voile. L’affaire va jusqu’au procès. Samantha l’emporte après qu’Abercrombie a comparé le port du voile au port d’une casquette.
Les Wexner, qui a racheté Abercrombie et nommé Jeffries, est lui accusé d’être le complice de Jeffrey Eipstein dans son affaire de pédophilie.
Bruce Weber, le photographe d’Abercrombie est lui accusé à plusieurs reprises d’harcèlement sexuel sur des mannequins mineurs.
Pendant ce temps-là, logiquement, le chiffre d’affaires s’effondre et Mike Jeffries fini par démissionner, laissant derrière lui une des marques les plus détestées du monde. Pourra-t-elle survivre à tous ces scandales ?
Une femme semble y croire et fait tout son possible pour repositionner la marque, comme Jeffries 30 ans avant elle…
La stratégie Marketing d’Abercrombie aujourd’hui
Aujourd’hui, c’est Fran Horowitz qui est à la tête d’Abercrombie.
Si vous allez faire un tour sur les réseaux sociaux ou le site internet de la marque, vous pourrez constater que le virage est clair : Abercrombie ne mise plus sur l’exclusion mais sur le marketing d’inclusion.
Maintenant, j’ai 2 questions qui me viennent en tête et j’ai hâte de voir vos avis en commentaires. La première c’est « La marque Abercrombie & Fitch peut-elle se relever malgré tous ces scandales et l’héritage qu’elle porte sur ses épaules ? »
La deuxième question, elle, est moins évidente :
« Abercrombie n’a-t-elle pas juste fait les frais d’une évolution de la société comme d’autres actuellement ? »
Je pense à McDonald’s qui passe aussi progressivement d’une marque adorée à une marque détestée en raison des valeurs écologiques et sociales qui sont des marqueurs très forts de la société actuelle ?
J’ai mon idée sur la question mais j’ai très envie de voir la vôtre.
Quoiqu’il en soit, nous voilà à la fin de cette analyse. J’espère qu’elle vous aura plu ! De mon côté, je vous remercie pour votre attention et vous dis à très bientôt sur le blog. Ciao !
Fondateur de l’agence SLN Web, je vous aide à générer des leads et à les convertir en clients. J’ai créé mon 1er blog en 2000 avec une Dreamcast et un modem Wanadoo 56K. Depuis, je vous donne toutes mes astuces pour bien communiquer sur Internet 🙂 __ Découvrez mon premier livre « La Route du Bonheur Semblant« !
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